vendredi 12 décembre 2008

LE SILENCE DES ORGANES

Pour une pédagogie de la dépression

Maladie honteuse en pleine expansion, la dépression est un handicap social qu'il convient de masquer au possible. Les moyens ne manquent pas. Les débats sur la nocivité des antidépresseurs ne sont pas récents. Lancés sur le « marché » en 1957, ils ont suscité la polémique dès 1958, soupçonnés de précipiter des suicides qu'ils étaient censés endiguer. Les études sont nombreuses et divergeantes, comme souvent les intérêts publics et ceux de l'industrie, qu'il s'agisse d'antidépresseurs, de tabac, ou de téléphonie mobile. Sans vouloir entrer dans la polémique, il ressort que le financement d'une étude semble en déterminer les résultats. Ce qui est navrant, juste navrant.

La seule certitude concernant les antidépresseurs et leur possible impact sur les personnes à risque de suicide, c'est que l'âge est un déterminant. Les jeunes, les adolescents, constituant une population à risque plus élevée. Tous autres résultats restent contradictoires et sujets à caution [source].

Pour une pensée étendue

Comme souvent au cours de ce blog, nous tenterons d'avoir une vision élargie des problématiques, pour les inscrire dans la réalité, la vôtre, la nôtre, la réalité d'un monde en mutation accélérée. Ainsi aurons-nous souvent l'opportunité de poser des questions sans vouloir impérativement y répondre. Ainsi établirons-nous des parallèles.

Pour ce qui est de la question des antidépresseurs, il m'en vient justement un à l'esprit. Comment enseigner l'importance et l'utilité du système nerveux à, disons, des étudiants en médecine? Bien des professeurs introduisent leur cours par l'exemple de la douleur. Que se passerait-il si un patient ne ressentait pas la douleur? Ni chaud, ni froid, ni pincement ou coupures, que sais-je...?
Prenez-le temps d'y penser un instant avant de lire la suite.

Eh bien notre patient se détruirait, bien involontairement.
Il poserait la main sur une plaque de cuisson sans en ressentir la brûlure; il laisserait un objet contondant lui lacérer les chairs; il laisserait une infection croître en lui et le gangrener. Notre patient mourrait. Les informations douloureuses nous préservent de pires souffrances à venir.
Voilà la veritable utilité du Système Nerveux Central: nous protéger.

Par bonheur vous percevez l'information « chaleur » avant que la brûlure soit effective ou irréversible. Par bonheur vous retirez votre main à la moindre information « coupure ». Par bonheur, votre corps vous parle.

Par bonheur vous ressentez de l'angoisse quand...eh bien, quand vous êtres... angoissé? En d'autres termes, l'angoisse n'est, pardon, ne serait, qu'un signal d'alarme. Le signal d'un inconfort, d'une crainte plus globale, d'un mal peut-être longtemps latent et qui (re)surgit. Que risque le patient s'il laisse l'information « angoisse » grandir en lui?
S'il prend des anxiolytiques, il supprime l'information « angoisse », mais ne résout pas le mystère caché derrière ce signal d'alarme. Le patient risque de laisser le « mal caché » l'envahir plus encore, potentiellement le détruire. L'industrie pharmaceutique nous prévient d'ailleurs en termes presque poétiques, avec des expressions telles que "baisse de la vigilance" au nombre des effets secondaires.

Le même raisonnement pourrait et, à mon sens, devrait, être tenu pour les antidépresseurs. Avec des nuances. Se souvenir que les recherches en la matière visaient initialement à soulager des individus en état de souffrance intense, ayant des pensées voire des actes suicidaires, et faisant l'objet d'une hospitalisation. Une molécule forte, donc. Mais savoir surtout qu'aujourd'hui il est possible de s'en faire prescrire à la demande, donc souvent hors de propos, au risque de voiler une réalité qu'un bon dialogue pourrait faire émerger. Derrière le mal être, un message plus important. Voulons-nous prendre connaissance et conscience de ce message?

Historiquement, la santé c’est l’absence de maladie

Certains antidépresseurs agissent sur les neurones en inhibant la recapture de la sérotonine. Pour synthétiser de la sérotonine, nous avons besoin d’un acide aminé de l’alimentation, le tryptophane. Nos cellules nerveuses le transforment en sérotonine. Plus il y en a, plus les neurones produisent de sérotonine. Mais pour des raisons d’ordre génétique, ou parce que l’alimentation n’apporte pas toujours suffisamment de tryptophane, la synthèse de sérotonine peut être insuffisante. Ceci se traduit par de l’irritabilité voire de l’agressivité, des états de déprime, des difficultés à trouver le sommeil.

Revenons en arrière: Et si l'information "angoisse" ou "déprime" nous signalaient un simple déséquilibre alimentaire? Et si une alimentation plus régulée nous évitait les désagréments engendrés par la prise de médicaments agissant sur notre système nerveux? Citons seulement: de la somnolence et de la fatigue, des étourdissements, la vision floue, de la transpiration, une baisse ou une hausse de la tension artérielle, pour ne citer que ceux-ci. Ce genre de phénomène est bien connu des mathématiciens: explosion combinatoire.

Notre corps nous parle et son discours est parfois très simple, saurons-nous l'entendre?
Et les autres? Sauront-ils l'entendre? Car si les médicaments amènent à limiter la verbalisation des maux, qui pourra aider? Et si les symptômes se multiplient en réaction à un traitement, comment s'y retrouver? Qui pour seulement écouter et aider à exprimer une souffrance si le malade ne l'entend plus lui-même?
Le chirurgien René Leriche énonçait « La lutte contre la douleur est une usure... Consentir à la souffrance est une sorte de suicide lent... Et il n'y a qu'une douleur qu'il soit facile de supporter, c'est celle des autres. » Difficile de mieux dire.
Notre propos ici n'était pas de bannir l'usage des psychotropes et autres "tueurs de douleur", comme on dit en Anglais, mais d'amener le lecteur à aller au fond des choses, au-delà du symptôme, à s'inscrire dans un projet dont l'objet serait l'élucidation de sa souffrance.
Le même Dr Leriche déclarait dans une phrase devenue célèbre:
«La santé est la vie dans le silence des organes»


6 commentaires:

Stéphane a dit…

Et en plus, l'abondance de prises de décision engendrées et « imposées » par la multiplication des sources d'unformation, comme vous le montriez dans un précédent post, a un impact sur l'anxiété, comme le prouvent certaines expériences.

Valérie Dévé a dit…

Merci pour ce commentaire, et du temps passé à l'analyser. Le propos n'est pas facile à appréhender.Pour compléter cette remarque, un article de "Sciences Humaines" pose la question de savoir si les neurones expliquent tout? L'attachement, l'empathie, l'altruisme, voire le lien social. Un neurone ou une aire cérébrale. La neuroscience est mise à toute les sauces. Aujourd'hui, "le cerveau social" devient un sujet de recherche à part entière, qui explore les fondements neurologiques de tous les comportements sociaux. Selon le sociologue Alain Ehrenberg, le cerveau social n'est qu'une chimère de plus, une utopie de maitrise. Grâce au scanner? Comme il est souligné dans le post, apprenons à nous écouter (les uns les autres, nous-mêmes) à nous entendre et nous considérer.

Anonyme a dit…

Certes, l'alimentation peut déjà être une façon de réguler beaucoup de dysfonctionnements physiques. Quant aux troubles de l'alimentation, boulimie, anorexie,désir de se nourrir hors rythmes du groupe d'appartenance, ils traduisent une perturbation personnelle sérieuse.
Retourner aux vieilles soupes et entremets d'antan n'est pas la solution dans la vie moderne.
Alors, n'y a-t-il pas là une forme d'éducation thérapeutique alimentaire à développer, en prévention et ou aide
au traitement de la dépression?
Bert

Crochet Fun Hub a dit…

The picture is stuning, which tells a lot....

Anonyme a dit…

Se faire prescrire des médicaments à la demande, certes. Mais il n'en demeure pas moins que la dépression est aujourd hui une maladie réelle, que certains qualifient meme de maladie chronique qu'un bon dialogue ne saurait résoudre à moins qu'il ne se transforme en un accompagnement long et forcément médicalisé.( De là l'inquiétude de voir un bien etre artificiel prendre la place de la guérison)Mais qu'est ce que la guérison..?
Au-delà des symptomes, peut etre pouvons nous dire que la dépression menacerait l'individu apparemment émancipé des interdits, qui aurait dépassé le partage entre le permis et le défendu (qui avait cependant l'avantage d'etre un cadre)mais qui se déchirerait dans un autre partage, celui entre le possible et l'impossible; zone donc où se débattrait l'homme sans guide, insuffisant et fatigué d'entreprendre de devenir seulement lui-meme.
Christian

Anonyme a dit…

Pour rebondir sur la question de Christian "Qu'est-ce que la guérison?"(dans une dépression): la guérison ne se décrète pas. De l'extérieur,nul ne peut garantir qu'un tel est guéri, ni les soignants, ni les proches. C'est l'intéressé qui se sent guéri, et il ne le réalise qu'après coup, quand il a repris en main son quotidien, son réveil et qu'il s'aperçoit que "ça va" et qu'il tient le coup devant les pépins...
Bert