jeudi 19 février 2009

Inégalité en santé

Les questions de santé et d’accès aux soins ont longtemps été relativement absentes des préoccupations des travailleurs sociaux prenant en charge les personnes les plus en difficulté. Cette situation est liée à l’organisation excessivement cloisonnée des systèmes de prise en charge (sanitaire et sociale) mais aussi aux représentations des professionnels qui ne font pas toujours de la (bonne) santé un ingrédient à part entière de l’insertion sociale et professionnelle même s’ils admettent que la(mauvaise) santé peut être un obstacle essentiel à celle-ci. Il est vrai qu’il y avait d’autres urgences : alimentation, hébergement, réponse aux besoins de première nécessité…
La prise de conscience qu’il ne peut y avoir d’insertion durable sans que la santé soit prise en compte, est donc récente. Mais,cette prise en compte ne peut reposer sur les seuls spécialistes du soin. Elle suppose que les professionnels du social se préoccupent au quotidien de la santé des personnes en grande précarité, et pas seulement quand ils sont malades. Cela signifie qu’ils doivent conduire des actions de prévention et d’éducation à la santé mais aussi, sans attendre, aller au devant de ceux qui en ont le plus besoin et qui ne formulent aucune demande. Cela suppose aussi que les professionnels du soin se préoccupent des conditions de vie des personnes qu’ils soignent et n’attendent pas non plus la formulation de demandes improbables pour agir. Ce serait une forme de révolution de nos pratiques sociales et sanitaires.

C’est difficile parce que les personnes en situation de grande précarité ont plus de difficulté que les autres à accéder aux soins comme à tous les autres droits, pour des raisons qui ne tiennent pas exclusivement au système de soins, mais aussi à l’absence de prise en compte des inégalités culturelles

Par ailleurs le besoin de soins ne se confond pas avec la demande. Il ne suffit pas de répondre à la demande formulée. Beaucoup de pathologies évoluent de manière invisible ou à bas bruit. Elles n’émergent pas si les questions ne sont pas posées ou si elles sont posées trop tard pour être traitées dans des conditions satisfaisantes.

On ne peut donc fonder l’action publique exclusivement sur l’idée d’un meilleur accès aux soins, ou d’une évaluation des besoins fondée sur la demande, au risque de laisser sur le bord de la route toutes les personnes qui ne demandent rien. Il faut donc inventer des moyens de repérer et de faire émerger les problèmes, ce qui signifie accepter de poser des questions, et pas seulement de répondre aux questions posées, ce qui ne correspond en France ni à la culture des travailleurs sociaux ni à celle des médecins. L’expérience des retard des politiques de santé publique, au début de la pandémie de SIDA, devrait nous rappeler le danger qu’il y a à ne pas aller au devant des publics les plus en difficulté.

La correction des inégalités de santé ne peut résulter exclusivement d’une politique de santé publique même plus performante et mieux adaptée. Elle doit s’intégrer dans une politique plus large de lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales.

Nous avions cru que la création de la CMU, en parachevant notre système de protection sociale,résoudrait pour l’essentiel les inégalités d’accès aux soins. Face à la persistance éclatante des inégalités de santé, le débat est resté limité au cercle étroit des spécialistes. Il n’y a pas eu de débat public, au-delà de la compassion intermittente et médiatisée, sur les moyens d’y remédier. C’est sans doute que les inégalités de santé qui concernent avant tout les enfants contredisent l’idée qui fait aujourd’hui curieusement consensus que chacun est maître de son destin. On retrouve en effet aussi bien dans le domaine de la santé que celui du social une survalorisation de la responsabilité individuelle qui conduit à distinguer les «mauvais pauvres» qui prendraient volontairement des risques dont ils feraient supporter la charge à la collectivité et les «bons pauvres» qui feraient les efforts que cette même collectivité attend d’eux. Or, une telle distinction ne correspond évidemment pas à la réalité des histoires de vie et des parcours difficiles et chaotiques des personnes.

En introduisant ce regard moralisant, on justifie la persistance d’inégalités dont le traitement devrait pourtant être une priorité de l’action publique.

Source: N. Maestracci, Fédération Nationale des Associations d'Accueil et de Réinsertion Sociales. FNARS.

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